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Regain d’appétit de Sunu, le groupe du très discret Pathé Dione

Le groupe de bancassurance du vétéran franco-sénégalais n’a cessé de croître, profitant de la consolidation du secteur. Où s’arrêtera-t-il ?

Sunu est en passe d’acquérir une septième filiale africaine de l’allemand Allianz, deux ans après avoir conclu le rachat de six d’entre elles. L’assureur panafricain, fondé et contrôlé depuis Paris par l’emblématique Pathé Dione, a en effet acquis au début de 2019 les participations d’Allianz Africa dans six filiales au Bénin, au Burkina Faso (vie et non-vie), au Mali, au Togo et fusionné les activités de Sunu Assurances IARD Centrafrique avec la filiale locale d’Allianz.

Début janvier, comme l’a révélé Jeune Afrique Business ( https:/ www.jeuneafriquebusinessplus.com/fr/806593/pathe-  dione-sunu-sapprete-a-acquerir-la-filiale-dallianz-au-congo- brazzaville/), c’est sur Allianz Congo-Brazaville que Sunu jette son dévolu. Même si l’accord définitif n’est pas conclu, les autorités locales n’ayant pas, pour l’heure, validé la transaction, les tractations sont bel et bien terminées. Le holding des sociétés du groupe Sunu Participations a d’ailleurs déjà obtenu l’agrément de la Cima, le régulateur régional.

L’assurance puis la banque.

Pour les professionnels du secteur, cette razzia sur les filiales d’Allianz est d’autant plus cohérente qu’elle permet au groupe de Pathé Dione d’étendre en quelques coups son empreinte régionale au sud du Sahara.

Selon eux, cette offensive obéit à trois principes : la volonté affichée de Sunu d’élargir son périmètre ; la stratégie d’Allianz de sortie de certaines filiales trop consommatrices en fonds propres ; la nouvelle réglementation Cima qui vise au renforcement et la consolidation du secteur des assurances.

À LIRE Assurances : à qui profitent les nouvelles règles du jeu ? (https:/ www.jeuneafrique.com/mag/892877/economie/assurances- a-qui-profitent-les-nouvelles-regles-du-jeu/)

Mais l’ambitieux Pathé Dione ne s’arrête pas là. Insatiable, le groupe panafricain présent dans quinze pays d’Afrique subsaharienne et dont le total de bilan consolidé a atteint 486 milliards de F CFA en 2019 (741 millions d’euros), s’est aussi révélé offensif dans le secteur bancaire.

Après la prise de contrôle de Banque populaire de l’épargne et du crédit (BPEC) du Togo à la mi-2018, « rebrandé » Sunu Bank Togo l’année suivante, Sunu tente d’acquérir avec le capital-investisseur AfricInvest, BNP Burkina Faso (https:/ www.jeuneafrique.com/mag/860200/economie/burkina- faso-mali-guinee-simon-tiemtore-bernard-et-kone-dossongui-aux- portes-de-bnp-paribas/). Un temps considéré comme favori, et déjà présent au tour de table de la filiale ivoirienne Bicici, l’assureur jette finalement l’éponge, à la fin de 2019, face à une opération jugée trop coûteuse.

Un an plus tard, c’est le groupe Vista Bank du discret Simon Tiemtoré (https:/ www.jeuneafrique.com/1079653/economie/qui-est-simon- tiemtore-acquereur-des-filiales-de-bnp-paribas-au-burkina-et-en- guinee/). qui acquiert la majorité de contrôle de la filiale burkinabè de BNP, ainsi que de la Bicigui (BNP en Guinée).

Spirale acquisitive

La déconvenue n’est pourtant pas vécue comme un échec par l’assureur franco-sénégalais qui fêtera ses 80 ans cette année.

Au contraire, Sunu rebondit en Afrique centrale. En RD Congo d’abord, où le groupe obtient l’agrément dans le courant de mars 2020 pour planter le drapeau de Sunu Assurances IARD (https:/ www.jeuneafrique.com/907603/economie/le-panafricain- sunu-a-la-conquete-du-marche-congolais-de-lassurance/) – cinq ans après la libéralisation du secteur dans le pays.

En parallèle, il procède à l’augmentation de capital de toutes les filiales de 1 à 3 milliards de F CFA, en application de la nouvelle réglementation Cima. Puis, met le cap sur le Congo.

Une spirale acquisitive qui n’est pas sans rappeler la manière dont a été fondé le groupe il y a vingt-trois ans, avec la rencontre entre le mathématicien Pathé Dione et Claude Bébéar (https:/ www.jeuneafrique.com/126348/economie/path-dione/), le fondateur d’Axa, à la faveur du rachat par le groupe français de l’Union des assurances de Paris (UAP) dont il est alors directeur Afrique.

À LIRE Assurances : Axa repart à l’assaut des marchés africains (https:/ www.jeuneafrique.com/mag/841835/economie/assurances-axa-lafrique-a-quitte-ou-double/)

C’est à ce moment-là que le panafricain Sunu naît avec, sous son bras, les filiales africaines de l’ex-UAP. Six ans plus tard, en 2004, alors que le groupe Sunu prend forme, il reprend les trois filiales Vie d’Axa en Côte d’Ivoire, au Cameroun et au Gabon.

Après cette première phase de croissance externe, Pathé Dione procède à la restructuration de son groupe : le holding Sunu Finances, qui détient Sunu Participations, est chargé de la gestion des sociétés, tandis que sa filiale Sunu Services regroupe les directions centrales du groupe à Abidjan.

LA VISION DE SUNU EST CLAIREMENT PORTÉE PAR SON FONDATEUR

Dès 2011, Pathé Dione prend des dispositions pour assurer la pérennité de son « empire » en organisant son comité de direction. Ce dernier est composé de Mohamed Bah, directeur général délégué de Sunu Participations, chargé du développement international et de la stratégie ; de Joël Amoussou DG délégué responsable de la finance ; et, enfin, de Karim-Franck Dione, fils du fondateur, directeur zone hors Cima.

Leader de l’assurance-vie

Malgré sa large empreinte géographique, Sunu reste perçu comme un acteur de « petite taille » sur la marché panafricain, malgré son chiffre d’affaires consolidé de 298 millions d’euros en 2019, face à des géants tels que les sud-africains Sanlam et Old Mutual, ou encore les assureurs marocains (Wafa, RMA.).

Certes, mais dans les pays de la zone CFA, en revanche, son rôle de premier plan est difficilement contestable.

LE GROUPE CONFIRME SON AMBITION DE DEVENIR L’ACTEUR PANAFRICAIN DE RÉFÉRENCE

En Côte d’Ivoire, Sunu est le premier acteur en matière d’assurance- vie, avec plus de 30 % de parts de marché et 51 milliards de F CFA de chiffre d’affaires en 2019, loin devant NSIA Vie (18 %), Allianz Vie (16%) et Saham Vie (15 %). La Côte d’Ivoire (filiales vie et non-vie comprises) représente d’ailleurs plus d’un tiers des revenus du groupe (37 % en 2019). Sunu est également performant en assurance-vie au Burkina Faso (3e acteur, 15 % du marché en 2017), au Bénin, au Cameroun et au Sénégal (3e acteur, 28 % de parts en 2017).

À LIRE La guerre des assureurs aura bien lieu :
https:/ www.jeuneafrique.com/mag/749620/economie/finance- la-guerre-des-assureurs-aura-bien-lieu/

Pour rappel, la quasi-totalité des effectifs du groupe Sunu, avec plus de 4 000 collaborateurs, salariés et commerciaux exclusifs, est africaine.

« La vision de Sunu est clairement toujours portée par son fondateur », commente Ridha Meftah, partner chez EY Tunisie, responsable de la division Financial services consulting et Afrique francophone. « À la lumière de cette seconde vague d’acquisitions entamée fin 2018-début 2019, le groupe confirme son ambition de devenir l’acteur panafricain de référence », poursuit-il.

LE TOGO EST UN VÉRITABLE LABORATOIRE, TOUTE L’ACTIVITÉ DE SUNU Y EST REPRÉSENTÉE

Chantiers internes et externes

Cette large empreinte géographique n’est pas sans créer son lot de soucis (coûts en fonds propre, organisation, conformité.) Ce d’autant plus que Sunu mène en parallèle une « révolution » interne, au travers de son grand projet « Digitass ». Lancé il y a deux ans, il prévoit la « transformation profonde » du groupe d’ici à 2023, à travers notamment une modernisation de la relation client et un focus sur l’efficacité opérationnelle, selon le management de Sunu.

Ce programme est actuellement en cours sur un périmètre pilote du groupe avec de fortes ambitions de généralisation pour 2021 et 2022 à l’ensemble des pays de présence. Le Togo, véritable laboratoire du groupe – toute l’activité de Sunu y est représentée – permettra d’expérimenter les synergies au sein des différentes entités.

ACCÉLÉRER SON DÉVELOPPEMENT DANS LES MARCHÉS À FORT POTENTIEL HORS CÔTE D’IVOIRE

Les intégrations de filiales ont-elles déjà porté leurs fruits ? En la matière, le groupe a une stratégie reposant sur cinq points : « Renforcer sa position de leader en assurance-vie et accroître sa part de marché en non-vie », « bâtir une organisation efficace et performante », « diversifier ses activités par la création d’un pôle bancaire », « accélérer son développement dans les marchés à fort potentiel hors Côte d’Ivoire », « porter son métier sur les technologies de l’information et de la communication », détaille Pathé Dione dans le dernier rapport annuel publié par le groupe.

Pour ce qui est du développement de ses marchés, les pistes sont nombreuses. Selon Yoann Lhonneur, directeur associé du cabinet Devlhon Consulting, « les perspectives de croissance dans certains pays donnent au groupe Sunu une certaine attractivité. C’est le cas du Burkina Faso par exemple, un marché de taille importante, ou encore du Togo, avec ses opportunités dans le segment corporate. »

À LIRE Bancassurance : la grande offensive du panafricain Sunu (https:/ www.jeuneafrique.com/mag/847573/economie/bancassurance- la-grande-offensive-de-livoirien-sunu/)

En 2019, justement, la croissance de l’assurance-vie chez Sunu a été largement portée par le Burkina Faso. Au pays des Hommes intègres, le chiffre d’affaires est en hausse de 137 % (ce qui représente une progression d’environ 8,5 millions d’euros), à la suite de l’absorption d’Allianz Assurances Burkina Vie (7,3 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019). À périmètre constant, le chiffre d’affaires de la filiale a progressé de 18 % par rapport à l’exercice précédent en partie du fait des bonnes performances de la branche prévoyance.

Quid du premier bilan post-acquisitions ?

Sur le segment dommages (non-vie), l’intégration des ex-filiales d’Allianz a permis d’accroître de 11 millions d’euros cumulés au Burkina et au Bénin. Toujours sur ce segment, la hausse des revenus est de 40% au Togo, pour un chiffre d’affaires boosté à 3,5 millions d’euros en 2019 et de 200 % au Mali où le CA a grimpé à 7,4 millions d’euros. La fusion-absorption des deux groupes en Centrafrique a également permis une hausse du chiffre d’affaires de 102 % la même année.

SUNU A RÉCUPÉRÉ CERTAINES FILIALES QUI PEUVENT ÊTRE CONSIDÉRÉES COMME DIFFICILES

Malgré ces avancées, certains observateurs restent sceptiques quant à la perennité de quelques un des actifs cédé à Sunu par Allianz. « Nos projections ont révélé que l’augmentation du capital réglementaire combinée aux investissements opérationnels locaux rendrait difficile le maintien de niveaux de rentabilité viables pour Allianz, étant donné le volume d’activité de ces entités », expliquait Delphine Traoré, directrice des opérations d’Allianz Africa (https:/www.jeuneafrique.com/1081035/economie/delphine-traore-allianz-africa-malgre-les-cessions-notre-chiffre-daffaires-a- triple-en-afrique/), à Jeune Afrique en novembre dernier.

« Sunu a récupéré certaines filiales qui peuvent être considérées comme difficiles. Sunu doit encore organiser les synergies et harmoniser les pratiques entre des filiales aussi différentes que la Côte d’Ivoire et le Mali », juge un expert du marché financier panafricain des assurances.

Sunu doit donc trouver le moyen de faire fructifier ses acquisitions sur de petits marchés, pour en rembourser le coût d’acquisition. Or, le groupe a par ailleurs injecté des montants considérables dans ses fonds propres, qui sont passés de près de 64 millions d’euros à 83 millions d’euros, entre 2018 et 2019.

L’impact du Covid-19

Nul doute que la pandémie du Covid-19 a « complexifié » le rachat du réseau Allianz par Sunu, alors que les marges des assureurs sont sous pression du fait d’une activité réduite et de performances fluctuantes sur les marchés financiers.

Les effets de la pandémie sur les performances de Sunu en 2020 ne seront connues que lors de la publication prochaine des résultats annuels. Il est peu probable, cependant, qu’ils amènent l’assureur à dévier de la trajectoire tracée par son fondateur et PDG, qui a doté son groupe d’un slogan qui sonne autant comme un leitmotiv qu’une mise en garde. « Notre métier, l’assurance ». Qui dit mieux ?

Aurélie M’Bida pour Jeune Afrique